Lors de mon premier passage à la faculté de droit d’Aix-en-Provence en 2013, à l’invitation de mon collègue le Professeur Frédéric Buy, j’ai participé à mon premier jury de soutenance de thèse et connu l’honneur de siéger aux côtés du Professeur Emmanuel Putman. J’ai également eu le plaisir de découvrir le splendide amphithéâtre Portalis. Portalis, ancien étudiant de la faculté, avocat au Parlement d’Aix-en-Provence, fut rédacteur du Code civil en compagnie d’un autre sudiste et de deux nordistes – chargés à eux quatre d’unifier le droit civil français.
Pour l’œuvre, donc, Portalis est passé à la postérité pour avoir été le principal rédacteur du plus grand des codes, et d’avoir brillé par son art du compromis (auquel il préférait le terme de « transaction » : v. B. Beignier, « Le Code civil et la conscience collective française », in B. Saintourens (dir), Le Code civil, une leçon de légistique ?, Economica, 2004, p. 207 et s.). Pour l’homme, l’on connaît les qualités de plume et la maîtrise de l’art oratoire, ses biographes (v. par exemple chez Fayard : Portalis, père du Code civil, par Jean-Luc Chartier) relatant avec une parfaite précision les étapes de sa formation et l’affirmation très précoce de son éloquence.
Ce que l’on sait moins, en tous les cas à Bordeaux, c’est que la famille Portalis est depuis belle lurette propriétaire d’un vignoble provençal, le château Pradeaux, lequel affiche d’ailleurs sur son site internet – avec une fierté bien légitime – cette illustre ascendance. Portalis, qui a hérité en 1752 de la propriété viticole de sa grand-mère, a fait peu de cas du vin dans le code civil, à l’exception de l’article 1587, qui livre la version consensualiste de la vente à la dégustation. Le Château Pradeaux produisant sa propre huile d’olive, l’on saisira l’occasion de citer dans son intégralité l’article 1587, inchangé depuis 1804, qui dispose qu’« à l’égard du vin, de l’huile, et des autres choses que l’on est dans l’usage de goûter avant d’en faire l’achat, il n’y a point de vente tant que l’acheteur ne les a pas goûtées et agréées ».
En consultant le site internet du château Pradeaux, l’on apprend aussi que ce sont les descendants de Portalis qui ont réhabilité le domaine et qu’ils ont porté, avec l’appui du Baron Leroy, la reconnaissance de l’appellation Bandol. Avec son ami Joseph Capus, le Baron Leroy (sur lequel on lira avec passion la plaquette qui lui rend hommage sur le site du syndicat des Côtes-du-Rhône) fut l’un des grands artisans de la création du droit viticole français, en contribuant significativement à l’élaboration d’une réglementation de la qualité de l’origine. Diplômé en droit à Montpellier, le Baron Leroy renonce au barreau pour s’impliquer dans le vignoble de sa belle-famille, à Châteauneuf-du-Pape (sage décision !). Après un combat judiciaire de dix ans, il obtient enfin la reconnaissance de l’appellation Châteauneuf-du-Pape et la définition stricte de critères de production, mobilisant les usages. Ces contentieux auront une influence décisive sur la loi du 22 juillet 1927, qui fait enfin se rencontrer aire de production et cépages (v. N. Olszak, Droit des appellations d’origine et indications de provenance, Tec & doc, 2001, p. 8 et 9).
C’est certainement un combat similaire qui fut mené à Bandol, car comme le renseigne le site du Château Pradeaux, il s’est agi d’imposer le mourvèdre pour les vins rouges. Dans le décret du 1941, consultable sur Légifrance, sont ainsi énumérées à l’article 1er les communes de Bandol, Sanary, le canton de Beausset, les communes de la Cadière d’Azur et du Castelet, des experts devant en outre déterminer s’il y a lieu d’ajouter certains lieux dits des communes d’Ollioules, d’Evenis, de Saint-Cyr-sur-Mer, et de la commune de Beausset. Il est aussi prévu à l’article 2 du décret que dans un délai de cinq ans, la proportion de mourvèdre pour les vins rouges devra être au minimum de 10 pour cent.
Egalement productrice d’un fameux rosé, l’appellation Bandol a certainement profité du succès exponentiel de ces vins, qui contraste quelque peu avec l’inconsistance de son statut juridique. Le droit de l’Union européenne est sur ce sujet aussi sibyllin qu’il peut parfois l’être – paradoxe d’une législation qui se veut pointilliste mais fondée sur le compromis ?- en écartant le coupage d’un vin blanc et d’un vin rouge pour les seuls vins sans indication géographique, renvoyant implicitement pour les autres aux dispositions nationales et aux cahiers des charges. En France, c’est le décret du 4 mai 2012 qui prohibe ce coupage, sauf lorsque le produit obtenu est destiné à l’élaboration d’un vin mousseux, d’un vin mousseux de qualité, d’un vin mousseux de qualité de type aromatique ou d’un vin pétillant (article 17).
La question du traitement juridique de la couleur du vin mériterait bien une étude que l’on enrichirait de la brève histoire du « vin bleu », apparu sur les terrasses il y a quelques années. S’agissant d’une boisson obtenue par la fermentation de raisins frais ou de jus de raisins frais, le produit pouvait prétendre à la qualification de vin. Pouvait, car encore fallait-il que ce « vin bleu », produit en Espagne, doive sa couleur à des pratiques œnologiques admises. Sur le site encore en ligne du négociant importateur sétois, l’on apprend que le vin blanc, de cépage chardonnay, macère dans des peaux de raisins noirs, et qu’il serait ainsi naturellement pigmenté d’anthocyane.
Dans les commentaires qui ont suivi, deux points ont été rapidement soulevés : tout d’abord, l’impossibilité que les anthocyanes puissent résister à l’acidité du vin, qui les fait tourner au rouge, ce qui faisait naître une suspicion d’ajout d’un colorant non autorisé ; ensuite, le fait qu’un tel procédé s’apparenterait à du coupage (lequel vise le mélange des vins comme le mélange des moûts), interdit par le droit de l’Union européenne. Dès lors, dans les deux cas, le produit ne pourrait prétendre à la dénomination de vin.
En conclusion, la famille Portalis nous aura permis d’introduire la vente, le droit des appellations, les pratiques œnologiques et la définition légale du vin, autant d’éléments nécessaires à une découverte du droit de la vigne et du vin.