VIN-vinolex

Le 20 février dernier l’Alliance des Crus Bourgeois du Médoc publiait sa sélection officielle pour les cinq ans à venir. Si en Provence le classement des crus (1955) est devenu un peu désuet (https://dico-du-vin.com/crus-classes-de-provence-liste-des-crus-classes-de-provence/), les classements demeurent d’une importance économique capitale en Bordelais, à la rencontre de l’ « autorité traditionnelle » et de l’ « autorité rationnelle-légale » (v. le passionnant ouvrage de P.-M. Chauvin, Le marché des réputations, Une sociologie du monde des vins de Bordeaux, Féret, 2010).

Le système de classement des crus offre à l’étudiant curieux du droit du vin un remarquable exemple de la complexité de la matière, et au juriste confirmé une opportunité unique de se mettre à l’épreuve de l’ordre public viticole, lequel se montre particulièrement soucieux de régir avec précision l’utilisation des termes exprimant une hiérarchisation des crus. Le droit de l’Union européenne appréhende les classements en accueillant au sein des mentions traditionnelles  (Règlement n°1308/2013 du 17 décembre 2013, article 112, 1, b) les termes exprimant une telle hiérarchie de mérite (par exemple « Cru Bourgeois », « Cru Classé », « Grand Cru », «Premier Cru »), comme des expressions liées « à la qualité d’un vin, à son histoire ainsi qu’à un type de zone évoquant une hiérarchie de mérite entre les vins provenant d’un domaine spécifique ».

Le droit français connaît quant à lui des systèmes très variables de classement, inventoriés à l’article 13 du décret du 19 août 1921, modifié par le décret n° 64-668 du 27 juin 1964 et pris en application des dispositions du Code de la consommation.Si l’on s’en tient à la région bordelaise, l’on pourra par exemple distinguer selon que le classement des exploitations s’insère dans l’appellation, comme à Saint-Emilion ou dans les Graves, ou qu’il est autonome de l’appellation (célèbre classement des crus des Médoc et Sauternes de 1855, classement des crus bourgeois, qui rayonnent sur plusieurs appellations). L’on pourrait aussi distinguer selon qu’il est ou non révisable. Ainsi, le Conseil des Vins de Saint-Emilion remet l’ouvrage sur le métier tous les dix ans, alors que l’Alliance des Crus Bourgeois a mis en place un classement quinquennal.

A l’opposé, le classement des crus de Graves est figé depuis 1959 et celui de 1855 n’a été revu qu’une fois, en 1973, pour la promotion de Mouton-Rothschild au rang de premier cru classé. L’on pourrait aussi distinguer selon les critères de classement, les possibilités étant nombreuses : prix de vente, notoriété, qualité gustative, aptitude au vieillissement, conduite de la vigne, équipement du chai… Lorsque vient le temps de la révision et par contraste avec les classements anciens, l’on remarque une volonté commune d’accorder plus de place à la qualité organoleptique comme critère de classement. Ce qui paraît naturel à l’amateur de vin n’est pourtant une évidence ni pour le professionnel ni pour le juriste. Le professionnel se souviendra qu’en 1855, les courtiers bordelais – pourtant réputés les meilleurs dégustateurs de la place – avaient privilégié une hiérarchisation fondée sur les prix de vente car ils ne croyaient pas beaucoup à la dégustation, jugée trop subjective, et que selon eux la composition d’un jury « collectif » ne constituait pas une assurance d’un risque d’erreur plus faible.

Le juriste, lui, sait bien les difficultés que pose en droit l’objectivation du goût du vin (v. sous notre direction les actes de la 8ème journée Vin, Droit et Santé, à la Cité du vin de Bordeaux, Le goût du vin et le droit, à paraître aux éditions Les Etudes Hospitalières), une fois la qualité gustative devenue critère de classement. L’annulation du classement des crus de Saint-Emilion (arrêté du 12 décembre 2006) pour rupture d’égalité entre candidats(la commission avait choisi, pour établir un niveau de référence, de déguster les crus sollicitant leur reconduction avant les crus sollicitant leur entrée) a bien illustré ces contraintes.

Malgré tout, les règlements persistent dans leur volonté légitime de promouvoir la dégustation comme critère privilégié de hiérarchisation. Pour le classement de 2012, Saint-Emilion a confié à l’INAO le soin d’arrêter une méthode de classement dans laquelle la dégustation comptait pour 50% de la note finale pour la mention « Grand Cru Classé » et 30 % pour la mention « Premier Grand Cru Classé ». Pour le prochain, en 2022, il est envisagé de donner une place plus importante encore à ce critère pour la plus prestigieuse des mentions (50% pour la mention Premier Grand Cru Classé). Pour les Crus Bourgeois du Médoc, la procédure ayant mené à la sélection de cette année conditionnait à un examen organoleptique réussi l’accession à la catégorie « Cru Bourgeois » et l’accessibilité – à la suite de l’évaluation des critères complémentaires – à la mention « Cru Bourgeois Supérieur » ou « Cru Bourgeois Exceptionnel ». Pour les Crus Bourgeois du Médoc il a en outre fallu se conformer au 3° de l’article 13 du décret du 19 août 1921 qui prévoit l’organisation périodique du classement par l’organisme professionnel viticole le plus représentatif sur la base d’un cahier des charges élaboré par celui-ci et d’un plan de vérification du cahier des charges établi et mis en œuvre par un organisme tiers offrant des garanties de compétence, d’impartialité et d’indépendance.

Il en a résulté une procédure d’une insondable complexité, qui contraste avec la simplicité de hiérarchisation des classements anciens. Il faut dire que les exploitations n’hésitent pas à attaquer les classements, qui doivent être à l’abri de toute contestation. Pour s’en convaincre, il suffit d’énumérer quelques griefs adressés en justice au classement de Saint-Emilion en 2012, sur ce seul aspect de la dégustation : absence de définition des conditions de prélèvement, de la garantie d’anonymat, absence de définition des critères de sélection des jurys de dégustateur, absence de prise en compte de la typicité des vins (vins de terroirs de sables et graves et vins de terroirs argilo calcaires) et, cerise sur le gâteau, fourniture par certains de vins conditionnés en magnums, choix opportun lorsqu’est appréciée l’aptitude au vieillissement…Si ces arguments juridico-sensoriels n’ont pas convaincu la Cour administrative d’appel de Bordeaux, ils montrent qu’à rebours des idées reçues, le bon sens, qui conduit à distinguer les vins en les dégustant, n’est pas l’ami de la sécurité juridique.

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