Le droit français est d’une rare complexité.
Les multiples décisions rendues chaque année en France par la Cour de cassation et par les cours d’appel en sont l’illustration.
Cette complexité résulte notamment de la confrontation entre différents blocs de droit, parfois d’ordre public, parfois non. Il en va ainsi du droit rural et par voie de conséquence de celui applicable aux entreprises vitivinicoles.
Le professeur Ronan RAFFFRAY l’illustre dans un récent article qui vient d’être publié sur le site de VINOLEX. Il y évoque la confrontation entre le droit rural et celui des entreprises en difficulté qui ne poursuivent pas le même objectif : « Le droit de la vigne et du vin se présente en effet comme un droit de la régulation du marché vitivinicole … A l’inverse, le droit des entreprises en difficulté est au cœur de la problématique patrimoniale. C’est un droit du patrimoine en action, qui prend en main le patrimoine de l’entreprise productrice pour atteindre les objectifs propres à la matière, poursuite de l’activité, préservation de l’emploi et paiement ordonné du passif ». Il en va ainsi également du régime juridique du droit de préemption des SAFER qui est selon le mot de notre regretté confrère Jacques LACHAUD « l’une des mamelles de la jurisprudence agricole » avec le même droit des entreprises en difficulté.
La Cour de cassation vient encore d’en donner une illustration avec un arrêt du 12 novembre 2020 (Cass. 3° civ. 12 nov. 2020, n°19-21.914).
La SAFER avait initialement rétrocédé des terres à un exploitant dont l’entreprise fut ensuite placée en liquidation judiciaire du fait de difficultés financières insolubles. Cette liquidation judiciaire amena le juge commissaire de la juridiction chargée de cette procédure à décider en application de l’article L 18 du Code de Commerce des modalités de la mise en vente des actifs de l’entreprise. Les terres qui avaient initialement été cédées par l’entremise de la SAFER en faisaient partie. Il se trouve que l’entreprise n’était pas propriétaire que de ces seules terres de telle sorte que la SAFER ne pouvait faire valoir ses droits que sur une partie des actifs à céder. Elle demanda donc au notaire de faire des déclarations d’intention d’aliéner (D.I.A.) spécifiques dont une pour les seules parcelles qui la concernaient. Ainsi fut fait, et la SAFER préempta les terres qu’elle avait initialement rétrocédées. C’est à cela que la Cour de cassation s’est opposée par l’arrêt du 12 novembre 2020.
Ainsi la loi spéciale par ailleurs d’ordre public applicable aux entreprises en difficulté dont les entreprises agricoles, et donc vitivinicoles, est ainsi susceptible de mettre en échec le droit de préemption des SAFER.
Voilà qui illustre à la fois la complexité ci-dessus évoquée de notre système juridique aux multiples impératifs, mais aussi des arcanes qui peuvent conduire certains, sans doute animés d’intentions déloyales voire de contourner les lois applicables et particulièrement les prérogatives de la SAFER, à imaginer de mettre à profit certaines difficultés voir de les susciter pour échapper à un mécanisme que par ailleurs le législateur tend à développer de manière à en assurer l’emprise et l’efficacité ainsi que l’illustre la récente loi adoptée en première lecture le 26 mai 2021 et portant des mesures d’urgence pour assurer la régulation de l’accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires[1].
[1] https://www.vitisphere.com/actualite-94133-Vers-un-transfert-de-parts-sociales-viticoles-avise-par-les-SAFER-et-interprofessions.htm