La difficile cohabitation des appellations et des marques sur les étiquettes de vin 1

La marque domaniale et l’appellation d’origine ont un point commun : le terroir, la glèbe. La marque est un signe distinctif. L’appellation AOP comme l’IGP sont un signe de qualité. Leur cohabitation est difficile.

Sous diverses influences, les DIRECTE régionales exercent un contrôle de plus en plus vigilant et particulièrement zélé.

Leur attitude est vivement critiquée dans une intervention remarquée de Monsieur le professeur Éric Agostini au sein de l’ouvrage collectif « Marques vitivinicoles et appellations d’origine ». Celui-ci met en effet en cause leur imagination créatrice alors qu’elles devraient se contenter de contrôler et de constater les infractions à la loi.

C’est ainsi qu’est né un conflit à partir de l’application de l’article 5 du décret du 4 mai 2012 qui permet d’étiqueter un vin bénéficiant d’une AOP d’une IGP en mentionnant « le nom d’une unité géographique plus petite que la zone qui est à la base de l’AOP ou de l’IGP si … cette possibilité est prévue dans le cahier des charges de l’AOP ou de l’IGP ».

Les DIRESTE considèrent qu’il faut que le cahier des charges prévoie et énonce les unités géographiques plus petites pour que celles-ci puissent faire l’objet d’un étiquetage dans le cas de l’article 5. Le professeur Agostini considère pour sa part, et cela semble être marqué au coin du bon sens, que si l’on suivait un pareil raisonnement aucune des exploitations viticoles des 45 000 ha de l’appellation Côtes du Rhône ne pourrait se référer à un nom cadastral en dehors des appellations communales… ; la suite logique de cette interprétation serait d’interdire l’incorporation d’un nom géographique ou même simplement cadastral dans une marque vinicole du moment que le cahier des charges de l’AOP de l’IGP ne le prévoit pas expressément. Cette interprétation rigoriste consiste en réalité dire que tout ce qui n’est pas expressément permis serait nécessairement interdit !

La Cour de cassation a eu à se prononcer à plusieurs reprises sur cette question dans des affaires qui concernaient l’utilisation du nom de la commune de Saint-Tropez dans une marque viticole bénéficiant de l’AOP Côtes de Provence.

Ces décisions qui n’ont pas le mérite de la cohérence sont lourdes d’enseignements.

Le premier arrêt rendu le 4 avril 2018 (chambre criminelle numéro 16 – 83. 270) décida que devait encourir la cassation le jugement relaxait une coopérative poursuivie au motif que « l’article 5 du décret du 4 mai 2012 n’a pas pour effet d’interdire l’usage du nom d’une unité géographique plus petite que celle qui est à la base de l’appellation d’origine protégée ou de l’indication géographique protégée mais seulement d’en préciser les conditions au regard des dispositions précitées du règlement du 14 juillet 2009, et la modification du cahier des charges, lorsqu’il ne prévoit pas une telle possibilité, peut être sollicitée par les producteurs intéressés, de sorte que les restrictions ainsi prévues, qui sont justifiées par la nécessité d’assurer la sauvegarde des intérêts de ces producteurs contre la concurrence déloyale et celle des consommateurs contre les indications susceptibles de les induire en erreur, ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété des titulaires de marques commerciales antérieures qui contiennent ou consistent en un nom d’une unité géographique plus petite que la zone qui est à la base de l’appellation ou de l’indication concernée ».

Or, deux ans plus tard, toujours à propos de l’utilisation du nom de la commune de Saint-Tropez la même Cour de cassation rendit un autre arrêt (Chambre criminelle — 15 février 2000 – n° 99-82.259) cassant une décision de condamnation :  « Que les juges énoncent que, quoique le territoire de la commune de Saint-Tropez ne soit pas une zone de production viticole, la présentation des bouteilles est, pour le consommateur, de nature à faire croire à l’existence d’une appellation d’origine imaginaire et à une provenance territoriale qui n’est pas exacte ; Mais attendu qu’en se déterminant ainsi, alors qu’elle ne pouvait, sans se contredire, à la fois constater que l’étiquetage des bouteilles comportait soit l’appellation d’origine contrôlée Côtes de Provence, soit la dénomination Vin de pays du Var, régulièrement apposées, énoncer que la mention du nom de Saint-Tropez, siège de l’entreprise de commercialisation, était conforme à la réglementation européenne et déclarer, néanmoins, cette mention de nature à induire en erreur quant à l’origine du vin, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».

Et voilà que dans la première affaire, à la suite de l’arrêt du 4 avril 2018, la cour d’appel d’Aix-en-Provence ayant rendu un arrêt le 17 décembre 2019 relaxant à nouveau les prévenus, la Cour de cassation vient de rendre un nouvel arrêt (Chambre criminelle — 16 février 2021 – n° 20-81.151) qui décide de censurer cette relaxe au motif que :

« L’usage du nom d’une unité géographique plus petite que celle qui est à la base de l’appellation d’origine protégée ou de l’indication géographique protégée n’est pas interdit, mais seulement soumis à des conditions au regard des dispositions précitées du règlement du 14 juillet 2009. La modification du cahier des charges, lorsqu’il ne prévoit pas une telle possibilité, peut être sollicitée par les producteurs intéressés dans les conditions prévues à l’article 105 du règlement(UE) n°1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles, de sorte que les restrictions ainsi prévues, qui sont justifiées par la nécessité d’assurer la sauvegarde des intérêts de ces producteurs contre la concurrence déloyale et celle des consommateurs contre les indications susceptibles de les induire en erreur, ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété des titulaires de marques commerciales antérieures qui contiennent, ou consistent en, un nom d’une unité géographique plus petite que la zone qui est à la base de l’appellation ou de l’indication concernées ».

Ainsi, contrairement à ce que l’on pouvait croire, et au grand dam des critiques doctrinales, la Cour de cassation valide-t-elle la position de la DIRECTE et donc l’interprétation très extensive des textes au risque de déboucher sur des situations absurdes comme celles dénoncées par le professeur Agostini…

La conclusion est qu’en l’état actuel des choses il semble vivement recommandé aux producteurs de solliciter la modification des cahiers des charges afin de résoudre ces épineuses problématiques locales…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Privacy Settings
We use cookies to enhance your experience while using our website. If you are using our Services via a browser you can restrict, block or remove cookies through your web browser settings. We also use content and scripts from third parties that may use tracking technologies. You can selectively provide your consent below to allow such third party embeds. For complete information about the cookies we use, data we collect and how we process them, please check our Privacy Policy
Youtube
Consent to display content from - Youtube
Vimeo
Consent to display content from - Vimeo
Google Maps
Consent to display content from - Google
Spotify
Consent to display content from - Spotify
Sound Cloud
Consent to display content from - Sound

L'ingénierie juridique au service du vin

CONTACTEZ-MOI