Marques viticoles et pratiques commerciales trompeuses : les enseignements du jugement Maucaillon
Selon l’article L121-2 du Code de la consommation, une pratique commerciale est trompeuse si elle crée une confusion avec un autre bien ou service, une marque, un nom commercial ou un autre signe distinctif d’un concurrent ou lorsqu’elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur les caractéristiques essentielles du bien ou du service, à savoir : ses qualités substantielles, sa composition, ses accessoires, son origine.
Après les affaires Reignac (condamnation pour utilisation indue d’une mention traditionnelle) et Petrus Lambertini (improbable relaxe malgré l’utilisation par des négociants d’un – très – prestigieux nom de cru dont ils n’étaient pas propriétaires), l’affaire Maucaillou confronte à ce texte une pratique de commercialisation courante en Bordelais consistant à s’appuyer sur une marque domaniale forte, dont l’on est propriétaire, pour vendre un vin de négoce.
Cette pratique interfère avec la distinction qui s’est progressivement installée en droit des marques de vin entre marques domaniales et marques commerciales, distinction formulée par l’école bordelaise de droit viticole (v. l’ouvrage de Me C. Lampre, La conspiration des étiquettes, Féret, 1993) sur la base du fameux arrêt Cassevert du 18 janvier 1955 (et renforcée par l’arrêt Château des Barrigards du 30 mai 2007). Coexistent en effet, au sein des marques de vin, d’une part la marque domaniale, aussi désignée marque agricole, marque viticole ou marque de château, d’autre part la marque commerciale, simple marque vinicole.
La première, « marque de vin et nom de lieu » selon l’expression du bâtonnier Siré, désigne le produit par le nom de l’exploitation d’où viennent les raisins. Indétachable de l’exploitation, elle constitue « la protection avancée d’un nom de cru » (E. Agostini, Bordeaux et ses vins, Féret, 19ème éd., 2014 ; p. 172). La seconde, simple marque de vin, ne contient pas une telle indication de l’exploitation. Cette distinction a certainement pour substance la spécificité intrinsèque des marques domaniales, attachées à la terre, mais elle a aussi pour fonction la protection du consommateur dès lors que la marque domaniale renseigne sur l’origine du vin.
Dans l’affaire Maucaillou, tranchée le 12 décembre 2019 par le tribunal de Bordeaux, il était précisément reproché à une entreprise de négoce de commercialiser un vin (le « Bordeaux de Maucaillou ») en associant le nom d’une exploitation, amputé de son vocable règlementé par le décret du 4 mai 2012 (le terme « château »), à des éléments de présentation inspirés de ceux des vins issus de la propriété. La pratique litigieuse consistait ainsi à « offrir à la vente des bouteilles de vins non issues de parcelles de l’exploitation Maucaillou, l’étiquetage reprenant en outre la même présentation que celui des vins issus de la propriété (charte graphique, présentation, agencement visuel, typographie, tailles de caractères, mise en avant du mot « Maucaillou ») ».
Au sujet de cette pratique la place bordelaise est partagée entre le respect de son modèle juridique, qui repose sur la distinction nette des vins de château et des vins de négoce, et le potentiel économique que représente la dynamisation du négoce par ce nouvel usage du nom de château, lequel vanterait le savoir-faire d’une équipe et introduirait une logique de maison en Bordelais. Toutefois, l’opportunité économique ne fait pas la régularité juridique. Comme le rappelle le tribunal dans ce jugement, « la problématique constatée n’est pas celle, économique, qui est proposée (…) mais celle de l’appréciation de la confusion provoquée par son étiquetage, pour le consommateur », figure passive mais il est vrai majeure de ce contentieux (v. notre article « Le consommateur de vin et le juge : une attention moyenne mais une place fondamentale », Droit et Patrimoine, Dossier, juin 2019).
Dans le jugement Maucaillou, il a en effet été jugé que le consommateur disposait incontestablement de signes visuels de nature à l’induire en erreur voire à le tromper sur la provenance du vin, en considération du lien sciemment créé par la reproduction du dessin du château Maucaillou ou encore de ce terme dans une typographie strictement utilisée pour les vins de propriété. Le tribunal a également relevé que les informations apportées sur la contre-étiquette ne permettaient nullement au consommateur d’opérer une distinction intelligible entre ces vins tels que provenant de l’exploitation et les vins issus d’assemblages divers et totalement étrangers à la propriété.
La portée du jugement est particulièrement intéressante car il ne condamne pas a priori la pratique commerciale sus-décrite mais conditionne sa régularité à une correcte information du consommateur, notamment par un bon usage de la contre-étiquette. L’on a en effet pu observer, dans l’affaire Petrus, que le juge des pratiques commerciales trompeuses ne s’attachait pas à la première impression, comme dans le contentieux de la contrefaçon, mais à l’information complète et finale du consommateur du vin. Dès lors, si après le premier contact avec le produit l’étiquetage suffit à dissiper le doute qui aurait pu naître, l’information devrait éloigner du même coup la qualification de pratique commerciale trompeuse. C’est l’autre apport, et pas le moindre pour les praticiens, de ce jugement Maucaillou.